Le polar à l'islandaise : 
des enquêtes venues du froid


Paysage islandais

Ils ont pour nom Arnaldur Indriðason, Árni Þórarinsson, Jón Hallur Stefánsson : les nouveaux chefs de file de la littérature islandaise. En vingt ans, ils ont imposé un genre nouveau, inconnu jusqu'alors dans l'île : le polar. Osé, alors que les meurtres sont quasi-inexistants en Islande.


Et le public suit. Sous couvert d'enquêtes policières, ou journalistiques, les trois auteurs dévoilent tout un pan de la société islandaise. Cette Islande bien éloignée des cartes postales, plus sombre, souvent rongée par l'alcool et la drogue. 


Polar islandais : inspirations


Paysage d'Islande

On ne compte plus les prix. En France, en Islande et ailleurs dans le monde, le polar islandais est glorifié. Leur secret ? Difficile à déterminer si ce n'est que l'Islande a cet effet hypnotique sur les lecteurs. Rien qu'à voir le mot "islandais" sur un livre, il est attiré. Il imagine ce pays froid, où glacier et volcan forment un couple destructeur. Il imagine les légendes de trolls et d'elfes. Il imagine des personnages exotiques et atypiques. Et il a en partie raison. On attend certaines choses d'un polar à l'islandaise, les auteurs se doivent disposer de ces ingrédients attendus.


Des héros maussades, décalés, à l'humour noir (quand ils en ont) et cette pointe d'originalité qui charme. Dans le même temps, ils sont des héros du quotidien pris dans les affres de la vie. On recherche dans ces polars la complexité humaine, le questionnement sur soi, les difficiles relations avec les autres, les questions sur la réalité de la vie, le monde ou la destinée, l'emprise de la technologie, etc. Et surtout, des noms (de personnages ou de lieux) exotiques et imprononçables.


"Nous avons passé la faille de Víkurskard, le lac de Ljósavatn, la chute de Goðafoss, la lande de Reykjaheidi et nous sortons de la province de Mývatn dont nous traversons les terres désertes en direction d'Egillstaðir, la grande ville du pays de l'est."

Árni Þórarinsson, Le temps de la sorcière


La force du polar islandais, c'est qu'elle fait découvrir un pays dont nous ne savons finalement pas grand chose. Le Snæfellsness ? Akureyri ? Quésaco !? Le roman noir donne envie d'aller plus loin, de se renseigner et au final d'aller voir sur place. Pour les connaisseurs de l'Islande, l'effet est le même. Il retrouve l'ambiance des rues et des étendues de l'île. Il se plonge dans le roman en ayant le sentiment de connaître chaque recoin dont parle le narrateur. 

Paysage islandais

Et cette nature islandaise omniprésente. nous sommes habitués à la voir dans la littérature nordique ou dans la poésie. Mais dans le polar ? On ne voit pas bien sa place dans un premier temps. Jusqu'à ce qu'entrent en jeu l'océan, un fjord ou un champ de lave pétrifiée. Tout à coup, l'imaginaire s'emballe. Un meurtre dans de tels endroits prend du sens. L'énigme se met en place. Ainsi, Stefán Máni dresse une intrigue dans un bateau de pêcheurs, isolés, au large. Sans oublier que l'Islande a un passé. Nier cette dimension dans le polar, c'est tout simplement nier l'Islande. Nombre de polars ont pour point de départ une intrigue autour des sagas ou des vikings, ces ancêtres qui inspirent les plus improbables aventures.


Tous les ingrédients sont réunis pour donner vie à ce polar venu du froid. Mais un bon polar, ce n'est pas juste une bonne intrigue. La plume est indispensable. Et les auteurs islandais ont ce sens du style. Ils parviennent par leurs tournures de phrases à faire ressortir un rythme, plus ou moins lent, à capter l'attention du lecteur. Maîtres de l'intrigue et maîtres des mots, voilà deux éléments qui créent le succès du polar islandais. 


Polar islandais : les auteurs


La littérature nordique est toujours à la mode. Le polar suit la même voie, et surtout le polar islandais. De plus en plus d'auteurs, fort de leurs succès en Islande, voit les portes de l'Europe s'ouvrir. Indriðason en est le meneur, mais derrière suivent d'autres écrivains, tout aussi talentueux.


Arnaldur Indriðason


Indriðason n'est plus à présenter. Il est tombé dans le polar sans le vouloir. Une envie d'écrire. Sans savoir pourquoi, son premier roman est un polar. Ce journaliste, historien de formation, est le chef de file du mouvement. Ses livres défilent dans les librairies et constituent systématiquement d'excellentes ventes. Son premier livre traduit, "La cité des jarres", traite de la problématique génétique. En Islande, la société De Code Genetics a analysé les gènes censés être purs de nombreux Islandais. Le projet a créé une vive polémique. Indriðason imagine les dérives de ce projet. Ce titre a été adapté au cinéma et est l'un des plus gros succès du box-office islandais.


Arnaldur Indridason

Arnaldur Indriðason est un enfant de Reykjavík, né le 28 janvier 1961 dans la capitale islandaise. L'amour de l'écriture, Indriðason l'a cultivé dès son plus jeune âge, notamment grâce à son père, journaliste et écrivain, Indriði G. Þorsteinsson. Le jeune Arnaldur va suivre les pas de son père. Au début des années 80, il entre au Morgunblaðid, le plus important des journaux islandais. Une expérience journalistique qui ne dure que deux ans. Indriðason décide alors d'assouvir sa passion pour le cinéma en écrivant des scénarii en free-lance, puis quelques années plus tard des critiques de films pour Morgunblaðid. En 1996, il obtient un diplôme d'Histoire à l'Université de Reykjavík. L'Histoire de l'Islande tient d'ailleurs une place prépondérante dans ses livres.


Après de nombreuses hésitations, il écrit son premier roman, publié en 1998. Indriðason se découvre auteur de romans noirs. Son 3ème livre, Mýrin (la cité des Jarres) est son premier grand succès. Il est pour la première fois traduit et publié à l'étranger, et il reçoit de nombreux prix littéraires. Dès lors, son succès ne va pas se démentir. En France, les aventures d'Erlendur se succèdent. Dans son pays, Indriðason est le plus important des auteurs contemporains. En 2004, sept de ses livres figuraient dans le top 10 des meilleures ventes de la plus grande librairie de Reykjavík. À l'étranger, Indriðason est aujourd'hui, avec Halldor Laxness, l'image même de la littérature islandaise contemporaine.


Arnaldur Indriðason se plaît à créer dans ses romans une Islande exagérément noire et pessimiste, voire cynique, mais authentique. Les personnages sont à l'image du climat de ces régions du nord : perturbés. Erlendur, son héros récurrent, porte sur ses épaules les intempéries qui frappent l'Islande au cœur des longues nuits d'hiver. La recherche est au centre de tous ses romans. Autant la recherche du mystère en lui-même, que la recherche d'un passé enfoui dans les tréfonds de l'Histoire islandaise. 

 Les personnages principaux


Erlendur Sveinsson


La cinquantaine bien tassée, Erlendur vit seul. Son enfance s'est brisée à la mort de son jeune frère dans une tempête. Sa famille décide alors de venir habiter Reykjavík. Déraciné, Erlendur ne trouvera jamais sa place dans la grande ville islandaise. Devenu flic, il creuse au fil de ses enquêtes dans un passé auquel il cherche pourtant à échapper.


Erlendur est un homme seul. Sans famille, sans amis. Plus jeune, il a quitté du jour au lendemain femme et enfants. Aujourd'hui, sorti de son travail, il n'a de contact qu'avec sa fille, Eva-Lind, qui a des problèmes de drogue.


Eva-Lind


Abandonnée par Erlendur très jeune, Eva-Lind court après l'image paternelle disparue. Devenue adulte, elle comble ce manque par la drogue. Elle passe de squat en squat et toutes ses tentatives pour rester clean sont vaines. Sa vie est en danger. Son père tente tant bien que mal de lui porter secours. Eva-Lind est tiraillée entre son envie de voir Erlendur et de normaliser leur relation, et son profond ressentiment envers lui. Elle n'arrive pas à lui pardonner de l'avoir laissée.


Elínborg et Sigurður Óli.


Les deux coéquipiers d'Erlendur. Ces trois-là sont toujours ensemble sur les affaires. Elínborg est une femme célibataire (la plupart du temps) et sans enfants. Même en Islande, patrie de la parité, être une femme flic est chose rare. Elínborg s'implique donc d'autant plus dans les affaires. Sigurður Óli a, lui, moins de motivation. Plus préoccupé par sa vie personnelle et ses relations houleuses avec Bergþóra sa compagne, il peine à rester concentré au travail.


Arnaldur Indridason, interview du maître du polar islandais



Propos recueillis à la librairie Le Livre écarlate à Paris en février 2008.



Arnaldur Indriðason à Paris, cela n'arrive pas souvent. Autant dire que pour ces rares rencontres et dédicaces, les lecteurs se sont déplacés en masse. Ce dimanche, dans le 14
ème arrondissement de Paris, pas moins d'une cinquantaine de personnes se pressent dans la petite librairie vite surchargée. Librairie que Toute l'Islande vous conseille vivement ! Les libraires sont merveilleux et toujours de bons conseils ! Arnaldur Indriðason arrive, lui, légèrement en retard. "Il a voulu voir la Tour Eiffel" explique le libraire. Rencontre.

Votre personnage récurrent, Erlendur, est atypique. Avez-vous eu ce personnage en tête avant de commencer à écrire ?

Arnaldur Indriðason - Paris 2008

En réalité, le personnage d'Erlendur ne s'est mis à exister qu'avec le 2ème livre de la série, qui n'a pas été publié hors d'Islande. Et même alors, le personnage d'Erlendur n'était pas complètement créé. À chaque livre, il développe des caractéristiques. En fait, plus j'écris, plus je découvre de nouvelles facettes de sa personnalité. En ce moment, je travaille sur mon 9ème livre. Et je ne suis pas encore capable de savoir quand j'aurai épuisé ce personnage.


Que ce soit l'histoire même des livres, ou ce personnage d'Erlendur, tout s'inscrit dans l'Histoire.


Quand j'ai découvert que j'allais construire toute une série sur Erlendur, j'ai voulu qu'il soit imbriqué intimement dans le tissu de la réalité islandaise. Il fallait qu'il germe à partir de l'Histoire de cette société, de la société elle-même et du climat. Des composantes parmi lesquelles se trouvent ce très long hiver, sombre, et l'été très clair. Dans ce personnage, il doit aussi y avoir la brume, la pluie, le gel, la neige et l'Histoire de la nation. C'est pour ça que j'ai créé Erlendur, un homme qui vient de la campagne et qui déménage en ville dans sa jeunesse. Car c'est la grande mutation qu'a connu la société islandaise, cet exode rural. Toutes ces populations qui ont quitté la campagne pour venir à Reykjavík. Cela a laissé beaucoup de gens derrière, comme suspendu en l'air, sans racines. En fait, Erlendur fait partie de ces gens déracinés, qui n'arrivent pas à prendre racine dans l'époque moderne, ni dans la ville de Reykjavík.


Tous les personnages sont très humains, mais également très sombres. Il y a beaucoup de pessimisme.


C'est simplement parce que j'accentue beaucoup le côté réaliste de ces histoires. Mais évidemment, Erlendur est confronté à beaucoup de difficultés dans sa vie. Sa philosophie, sa façon de voir la vie est plutôt négative. Mais je ne suis pas sûr que dans cette mesure là, il soit typique des Islandais.


C'est un homme qui souffre énormément. On craint à chaque livre qu'il se suicide...


Ça, c'est moi qui vais en décider plutôt que lui. Je préfère décider moi-même du destin de mes personnages plutôt que de leur laisser le pouvoir.


On retrouve vraiment avec cette inscription dans l'Histoire des restes de votre formation d'historien.

 

Évidemment. L'Histoire avec un grand H est très présente dans mes livres. Cela me plaît beaucoup de remonter le passé pour l'explorer. Erlendur découvre des squelettes qui viennent du passé. Ces gens ont disparu et ont laissé derrière eux une vie qui s'est figée dans le temps. Ce qui m'intéresse, ce n'est pas tant la personne qui a disparu, mais ceux qu'elle laisse derrière elle, avec comme un arrêt dans le temps. Voilà pourquoi mes livres traitent de squelettes enfouis dans la terre, mais aussi d'une certaine manière de squelettes vivants. Je vois les strates de l'histoire comme des strates géologiques.


L'un de vos thèmes majeurs est la disparition, et donc la recherche. Que recherche Erlendur ?


Il cherche à résoudre une énigme pour les gens qui sont restés après la disparition. Parce qu'il est mieux placé que quiconque pour comprendre les conséquences d'une telle disparition. Il a lui-même une énigme, un mystère dans sa propre vie.


Qu'est ce qui vous a poussé à écrire, et pourquoi des policiers ?


En fait, pendant un certain temps, j'ai eu cette idée qui me trottait dans la tête, une histoire pour un livre. Je n'étais pas absolument certain de vouloir la coucher sur papier. Et à un moment, je me suis dit : "Soit tu le fais, soit tu oublies". Ce livre a été classé comme policier. Et je me suis découvert auteur de polars. J'aime beaucoup créer cette tension, générer un suspense, construire une énigme et à l'intérieur même de cette énigme, construire des personnages. 



Árni Þórarinsson 

Cimetière en Islande

Il est devenu un auteur incontournable du polar islandais. Ancien journaliste, son héros, du même métier que l'auteur, mène des enquêtes dans les villes d'Islande. Ses romans sont mêlés de noirceur et d'humour. Le premier traduit, "Le temps de la sorcière", plonge le lecteur dans une ambiance maussade guidée par l'alcoolisme du narrateur et un enchaînement de faits divers à la coïncidence suspecte. Le second roman est dans la même veine. Le héros, Einar, se sert de son alcoolisme pour se faire interner dans un centre de désintoxication à Akureyri où une femme vient d'être assassinée. La même femme était venue le voir quelques jours plus tôt pour le mener dans une maison hantée, maison dans laquelle ils découvrent une femme étranglée.


Akureyri encore avec son dernier roman "L'Ange du matin". Cette fois, Einar enquête sur la disparition d'une petite fille. Un roman qui dénonce la corruption et traite d'une Islande en mal de repères. Bref, tout sauf la capitale. Après le nord-est, direction les fjords de l'ouest avec "Le septième fils". Rendez-vous dans une Islande en mutations, en proie à la mondialisation et au bord de la crise économique. Visionnaire, Þórarinsson ? Le roman a été écrit juste avant la crise de 2008.


Dans ses romans, Árni Þórarinsson dénonce une Islande prise dans sa propre Histoire. Les Islandais sont devenus matérialistes, fous de technologie et ont du coup perdu l'âme qui les caractérisait. Il aime à revenir sur l'Histoire de l'Islande, emprunté à cette culture ancestrale dont, malgré tout, les Islandais restent fiers aujourd'hui.


Árni Þórarinsson a répondu aux questions de Toute l'Islande, lisez son interview. 


L'interview d'Árni Þórarinsson 

Arni Thorarinsson, critique de la société islandaise via le polar


Propos recueillis à l'occasion des Boréales de Caen en novembre 2008.


Árni Þórarinsson vit en France dans l'ombre d'Arnaldur Indriðason. Les deux plus grands auteurs de polars à l'islandaise, ont pourtant le même parcours, la même envie, au même moment : faire vivre des enquêtes dans un pays sans crimes, mais loin d'être sans défauts. Sous la plume d'Árni Þórarinsson, un journaliste se charge de mettre à jour ces dérives de la société islandaise.


Vous n'hésitez pas à dénoncer dans vos livres ce qui ne vous plaît pas dans l'Islande d'aujourd'hui…


Árni Þórarinsson

J'essaye de montrer la société sans maquillage. Comme je la vois, comme je la ressens. Je ne la vois pas forcément comme tout le monde, car je ne suis pas tout le monde. Mais j'écris ce que je vois, les bonnes et les mauvaises choses. Je suis intéressé par les changements que je vois en Islande et également la substance d'être Islandais : notre histoire, notre passé, notre héritage.


Au vu contexte actuel, vos craintes étaient-elles justifiées ?


La situation économique a changé. Nous étions bas, nous sommes montés, et nous sommes redescendus très vite. Le style de vie des gens, le langage, a changé très vite. Malheureusement, parfois, il semble que nous ayons perdu notre esprit. Nous avons embrassé le matérialisme, la société de consommation, les questions d'ego. Ce qui se passe en ce moment, j'espère, nous permettra de nous retrouver en tant qu'Islandais.


Pourquoi, dans vos romans, vous exprimer via un journaliste et non un policier ?


Einar représente mes vues et, à un plus large degré, celles de la société. Il est la voix de l'Histoire. Il la raconte à la 1ère personne. Il est solitaire et en même temps a besoin de contact avec les gens. Mais il n'est pas très bon, il a un pont dans son travail comme journaliste. Il a les mêmes possibilités qu'un policier d'entrer dans la vie des gens, poser des questions et découvrir des informations. Les bonnes choses d'avoir un journaliste plutôt qu'un policier, ou autre, est qu'il n'a pas besoin de s'impliquer dans le côté technique. De plus, j'ai été journaliste, j'ai commencé à 20 ans et je n'ai arrêté qu'il y a deux ans seulement. Je connais bien ce métier.


Quel est le sujet de votre prochain roman, "le 7ème fils" ? 

Árni Þórarinsson

Dans mon prochain livre, Einar est envoyé à l'ouest de l'Islande dans un petit village, près d'Isafjorður. Cette région a eu pendant des années une économie sur le déclin alors que le reste du pays prospérait. L'économie de l'ouest du pays était très mauvaise. Einar est envoyé là-bas pour parler de cette situation avec des gens qui essayent de la changer et de faire de l'Isafjorður un meilleur endroit. Mais une vieille maison au centre du village brûle la nuit avant qu'Einar arrive, un incendie criminel. Le début d'une série de faits étranges.


La crise économique va-t-elle être au centre d'un de vos prochains romans ?


Je ne pouvais pas écrire ces derniers temps. Je vais devoir attendre. J'ai beaucoup d'idées, mais les temps sont trop incertains. Mais "le 7ème fils" conte vraiment l'histoire de ce qui se passe maintenant, même si j'ai fini de l'écrire en avril 2008. Vous parlez à Nostradamus ! 



Jón Hallur Stefánsson

Homme de radio, le premier livre traduit en français s'intitule "Brouillages". Avec un humour cynique, Jón Hallur Stefánsson y décrit un Reykjavík sombre dans lequel les personnages déambulent dans leur quotidien mesquin et violent. Beaucoup plus psychologique que les autres polars islandais, le lecteur découvre une facette de l'Islande contaminée par l'individu et en proie aux douleurs personnelles.


Dans son autre livre, "L'incendiaire", Stefánsson fait le même constat quant à cette humanité éprise de vengeance et de haine. Son héros part pour le village de Seyðisfjörður où le soleil n'est présent que trois mois dans l'année. Il enquête bien difficilement sur une série d'incendies suspecte. Difficilement car dans ce petit village coupé provisoirement du monde, tout le monde connaît tout le monde et personne ne parle. Les habitants sont tristes, fragiles, perdus, habités d'un égoïsme souverain. L'auteur nous dépeint une société noire et cruelle dans laquelle l'Homme est un lâche. 


Stefán Máni 


De son enfance à Ólafsvík, village de pêcheurs à la pointe du Snæfellsnes, il tire son premier livre traduit, Noir Océan, en 2010. Le narrateur nous embarque sur un bateau de pêche, en compagnie de neuf marins. Le départ est tendu : rumeurs de licenciement, météo défavorable, climat austère. Les choses se corsent lorsque les communications avec le continent sont coupés. La suspicion prend le dessus sur l'équipage. Quelque chose se trame.


Depuis, deux autres ouvrages ont paru : "Noir Karma" et "Présages". Noir Karma décrit un Reykjavík inconnu, celui des clans, de la drogue, des vols et des meurtres. Avec Présages, Máni nous fait visiter les fjords de l'ouest de l'Islande. Après que sa famille a disparu dans une avalanche, le héros découvre la relation de sa récente ex-petite-amie avec un caïd venu de la capitale. Devenu flic, il enquête sur lui. S'en suit une course effrénée en pleine nature islandaise.


Viktor Arnar Ingólfsson 

Encore inconnu en France, il est un des plus importants auteurs de polars dans son pays. Plusieurs fois récompensé, un de ses titres vient d'être adapté à la télévision islandaise. En France, un seul roman est sorti à ce jour : "L'énigme de Flatey". L'intrigue débute sur un corps retrouvé par des pêcheurs au large de Flatey. La victime se révèle être un spécialiste des sagas, venus tenter de décrypter l'énigme du Livre de Flatey, datant du Moyen-Âge.


Óttar Martin Nordfjörd


Óttar fait voyager le lecteur au temps des vikings et des premiers colons islandais. Son seul livre publié en France à ce jour (en 2013), "Le sang d'Odin", pose une intrigue autour d'Embla, jeune archéologue, dont le professeur a disparu. Ce dernier étudiait les vikings et proposait quelques thèses peu communes à leur sujet. 


Eric Boury, traducteur des polars islandais


Propos recueillis à l'occasion des Boréales de Caen en novembre 2008.


La nuit est tombée sur Caen. Éric Boury vient de terminer une conférence à la bibliothèque centrale de la capitale normande. Le thème ? Le polar à l'islandaise. Une évidence. Éric Boury est aujourd'hui le seul à traduire les romans noirs islandais : Arnaldur Indriðason, Árni Þórarinsson, et Jón Hallur Stefánsson. Mais au bout de sa plume ne se dessinent pas que des intrigues policières.


Comment avez-vous commencé la traduction de romans islandais ?


Éric Boury - Caen 2008

Grâce à Régis Boyer. J'ai fait mon DEA avec lui et je devais traduire des textes pour les étudier. Il m'a encouragé à poursuivre dans cette voie, car il avait le sentiment que ce que je faisais était bon. À l'époque, on lui avait proposé la traduction de "101 Reykjavík" de Hallgrímur Helgason. Il l'avait refusé, car il ne se retrouvait pas dans ce livre, mais il en voyait la qualité. Il m'a donc demandé de le traduire.


Pourquoi l'Islande ?


J'ai grandi dans mon Berry natal, la tête pleine de rêve d'aventures dans le grand nord, la Norvège, la Suède, l'Islande. J'ai voulu apprendre les langues nordiques, donc je suis venu à Caen. Puis je suis parti habiter en Islande pendant deux ans, alors que je n'avais pas la vingtaine.


Et aujourd'hui, votre carrière de traducteur est bien lancée.


Je suis également professeur d'anglais, même si cette langue prend de moins en moins de place dans ma vie finalement. Je traduis environ cinq livres par an. Pas que des polars, mais depuis que je suis le traducteur attitré d'Arnaldur, cela facilite les choses : mon nom figure sur de nombreux livres. Nous ne sommes pas nombreux à traduire l'islandais en France. Donc les maisons d'éditions m'appellent plus facilement. En ce moment, j'ai sept livres en attente.


Comment se passe le processus de traduction ?


Tout dépend de l'auteur et du livre. Avec Arnaldur Indriðason aujourd'hui, je mets un mois à traduire 300 pages. Je connais son style, les personnages. Pour "la Femme en vert" par exemple, je m'y suis mis au mois d'août, il pleuvait. Vingt jours totalement immergé. Et la traduction s'est révélée excellente.


Pour d'autres auteurs, je peux traduire jusqu'à quinze pages par jour, puis je les relis à haute voix, les lis à ma femme. Avant de me coucher, je lis les pages que je dois traduire le lendemain.


Des auteurs comme Þórarinsson ne posent pas trop de problèmes à la traduction. Sjón par contre est très difficile. Son écriture est très dense. Parfois, je m'arrête après huit pages seulement, épuisé. Pour "Sur la paupière de mon père", je me suis intégralement relu à haute voix trois fois. Et mon éditeur m'a dit : "Il n'y a rien à changer, ou presque."


Vous êtes le traducteur attitré du polar à l'islandaise. C'est un genre qui vous attire ? 


Éric Boury entre Árni Þórarinsson et Arnaldur Indriðason - Caen 2008

Le polar n'est pas ma grande passion, je suis plutôt amateur de poésie. Mais en fait, je ne considère pas qu'Arnaldur Indriðason soit un auteur de polar. Il est défini ainsi, car le polar est le genre à la mode qui fait vendre.


L'islandais est-il une langue à part pour un traducteur, de par sa complexité ?


Il existe un petit déplacement entre chaque langue lors d'une traduction. Ce n'est pas spécifique à l'islandais. Certaines nuances n'existent pas en français. Cela est particulièrement frappant sur certains mots islandais : le mot "neige" par exemple. Il existe de très nombreuses façons de le dire en islandais, avec beaucoup de nuances. C'est plus dur en français. Mais la langue française est très poétique aussi, et il suffit parfois de puiser dans sa richesse pour traduire un texte. Il existe par exemple ce mot : "föl", pour désigner un léger voile de neige sur le sol, presque transparent. Il n'existe pas d'équivalent pour cela en français. Je dois donc traduire : "la neige tombe et dépose son voile sur le sol". Tout est une question de nuance. 


Bibliographie sélective

Le duel, Arnaldur Indriðason, Métailié, 2014.

La femme en vert, Arnaldur Indriðason, Métailié, 2007.

Bettý, Arnaldur Indriðason, Métailié, 2011.

La cité des jarres, Arnaldur Indriðason, Métailié, 2005.

La voix, Arnaldur Indriðason, Métailié, 2007.

La muraille de lave, Arnaldur Indriðason, Métailié, 2012.

L'homme du lac, Arnaldur Indriðason, Métailié, 2008.

Hiver arctique, Arnaldur Indriðason, Métailié, 2009.

Hypothermie, Arnaldur Indriðason, Métailié, 2010.

Le temps de la sorcière, Árni Þórarinsson, Métailié, 2007.

Le septième fils, Árni Þórarinsson, Métailié, 2010.

Le dresseur d'insectes, Árni Þórarinsson, Métailié, 2008.

Noir océan, Stefán Máni, Gallimard, Folio, 2012.

L'énigme de Flatey, Viktor Arnar Ingólfsson, Points, 2014.

Le sang d'Odin, Óttar Martin Nordfjörd, Prisma, 2013.

Brouillages, Jón Hallur Stefánsson, Babel, 2010.


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