Steinunn Sigurdardóttir, romancière-poétesse


Propos recueillis à l'occasion de la sortie du livre Le cheval-soleil aux éditions Héloïse d'Ormesson, en octobre 2008.


Quitter Paris a été pour elle un déchirement. Steinunn Sigurðardóttir la cosmopolite vit aujourd'hui à Berlin. Loin de ce XVIII
ème arrondissement qu'elle a tant aimé, loin de son Islande natale. Son dernier livre, "le Cheval Soleil", vient de sortir. Le 3ème paru en France seulement. Une fois de plus une histoire d'amour, d'amour brisé. Solitude. Et des poèmes qui saupoudrent les pages. Steinunn Sigurðardóttir est l'une des plus grandes auteures islandaises. Poète avant d'être romancière.



Pouvez-vous nous présenter votre dernier livre, "Le cheval soleil" ?


C'est l'histoire d'une femme, son destin, que j'essaye de présenter dans un livre assez condensé. Lorsque l'amour de jeunesse de l'héroïne, Lí, revient, elle souhaite lui raconter l'histoire de son âme. D'autant plus qu'elle a eu une jeunesse difficile : négligée par ses parents, obligée de s'occuper seule de la maison et de son petit frère. Elle n'a jamais raconté cela à personne. Elle est trop enfermée en elle-même. Des années plus tard, ils se retrouvent. Elle rêve de lui parler de cette vie. Mais cela ne se passe pas comme prévu. Finalement, c'est nous qui devenons confident de son histoire.


Vos livres sont souvent centrés sur une femme solitaire, voire souffrant de sa solitude.…


Je n'avais jamais pensé à cela, mais vous avez raison, c'est une évidence. Je n'avais pas perçu cette solitude dans mes personnages jusqu'à présent. Ce qui m’intéresse, c'est la différence entre la surface et la réalité.

Steinunn Sigurdardottir

Moi-même, j'étais solitaire étant enfant. J'étais assez douée à l'école, mais je n'avais pas vraiment d'amis. Mes parents vivaient à la campagne. Ils sont d'une génération où il est habituel d'envoyer ses enfants très jeunes dans des fermes l'été. Je suis partie pour la première fois à 5 ans. On est si petit à 5 ans. Et chaque année, je changeais de ferme, je perdais mes repères. J'étais très malheureuse. Sauf une année. J'étais dans le nord. Ce fut un choc culturel très positif. C'est une région avec une vie culturelle intense. Les gens sont très cultivés. Ils lisent énormément. Là-bas, une femme nous a raconté l'histoire des "Misérables" de Victor Hugo, tout en faisant de la confiture à la rhubarbe. Elle a totalement reconstruit le livre à sa façon. Cette femme m'a vraiment enrichie. Elle nous a aussi appris des poèmes islandais. Très tristes, ils m'ont beaucoup touché.


Le fait de voyager beaucoup aujourd'hui, de vivre à Paris puis à Berlin, sont-ce des restes de cette enfance ?


Aujourd'hui, c'est un choix. Je veux m'échapper de l'Islande. Je ne peux pas vivre en Islande douze mois dans l'année. J'ai besoin d'une liberté, d'un climat, d'une douceur de vie. Mais l'Islande me manque. Je voudrais vivre en Islande quatre mois de l'année et ailleurs le reste du temps. Mais malheureusement, ce n'est pas possible.


L'amour : c'est l'un de vos thèmes principaux.


Cela me fascine de voir à quel point l'amour est fort. Nous révélons notre caractère lorsque nous sommes amoureux. Après toutes ses années à écrire sur ce thème, et avec ma propre expérience, je ne comprends toujours pas l'amour. Je ne comprends pas comment quelqu'un peut devenir l'objet d'une telle fascination. L'amour est complètement en dehors de notre volonté. Je ne peux pas choisir de ne pas aimer. On peut couper tout contact avec l'être aimé, sans réussir à l'oublier. Et trouver un nouvel amour n'efface pas forcément l'ancien.


Et vous-même, avez-vous peur d'aimer comme certains de vos personnages ?


Alda, l'héroïne du "Voleur de vie", est rejetée. Elle a toujours tout contrôlé dans sa vie, mais elle a été rejetée malgré tout. C'est cela la peur la plus profonde : la peur d'être rejetée par l'être aimé. Chaque lecteur se voit dans cette situation. On a tous vécu cela un jour. Et après cela, la vie n'est plus jamais la même.


Alda voit sa vie détruite par cet amour rejeté.


Quelqu'un m'a dit : "Alda est la plus tragique des héroïnes de la littérature islandaise". Dans son cas, elle est trop obstinée. Elle aime la vérité, et la vérité, c'est qu'elle aime cet homme, et qu'elle ne peut pas, ou ne veux pas, le désaimer. Cela ne pourra pas changer, car elle ne fait pas l'effort. Elle vit cet amour qui est plus fort qu'elle.


Dans ce livre en particulier, votre style d'écriture varie vraiment au fur et à mesure de l'évolution du personnage. Et dans tous vos livres en général, la forme est aussi importante que le fond. 


Le Cheval Soleil - Sigurdardottir

 À chaque fois que je commence un livre, je me sens comme une débutante. Pour chaque roman, je veux une forme différente. Je ne veux pas avoir une narration linéaire. Je dois varier. Au commencement, j'étais poète. Et la prose ne me suffit pas. J'ai donc mêlé des poèmes au texte du "Voleur de Vie", et du "Cheval Soleil". Ces deux livres se ressemblent d'ailleurs dans la forme, ce sont les seuls que j'ai écrit comme cela. J'ai accumulé de la matière pendant des années. C'est la méthode du poète : j'écris chaque jour, en explorant à chaque fois un peu plus le monde de ces femmes. Ainsi, je peux avoir une intensité que je ne peux avoir avec une écriture classique. Un Islandais a comparé cette méthode aux anciennes Sagas et, plus proche de nous, à Halldór Laxness. Mais ce n'est pas quelque chose que j'ai cherché. C'était totalement inconscient.


La poésie fait partie intégrante de votre écriture. Vous avez commencé par écrire des poèmes et vous publiez toujours des recueils aujourd'hui.


C'est assez unique de continuer à publier des poèmes en parallèle. Je sors un recueil environ tous les sept ans, ce n'est pas assez, mais la poésie est un grand plaisir, plus que la prose. Ce sont mes racines.


Et vous avez d'autres amours ?


Les pièces de théâtre. Je viens d'écrire une farce, et avec le recul, j'ai réalisé qu'elle était une prophétie sur la crise actuelle. C'est une pièce assez étrange : une femme marginalisée, pauvre, se bat pour survivre. Sa famille ne l'accepte pas car elle dérange, son employeur l'exploite, et sa vie finit par basculer.


Vous voulez continuer à mélanger les genres comme cela ?


C'est un vrai luxe, c'est ma liberté. Je suis sûre que chaque forme profite à l'autre. Prose, théâtre, poésie. Je ne peux pas m'imaginer n'écrire que des romans. Dans ce sens, je suis chanceuse. Mais ce sont trois métiers différents. La poésie ne vient pas du même endroit de l'esprit que la prose. Je prends également beaucoup de plaisir à écrire des dialogues. C'est plutôt facile pour moi. Mais je me suis privée d'en écrire dans mes livres, justement car c'était trop facile.


Quels sont vos premiers pas d'écrivain ?


J'ai commencé très tôt. Mon premier livre a été publié alors que je n'avais que 19 ans. J'ai écrit certains poèmes à 14 ans. À l'époque, en Islande, il n'y avait quasiment pas d'écrivains féminins. Deux ou trois peut-être. Il n'y a pas de tradition d'écriture féminine en Islande. L'Islande est un pays avec une grande culture du livre, mais une culture masculine. Les femmes écrivaient des contes de paysans et les intellectuels se sont moqués de cela. Quand j'ai grandi, je n'avais donc aucun modèle. En revanche, pour le "Voleur de vie", j'ai vraiment été inspirée par une auteure de 77 ans, du nom d'Einarsdóttir : un esprit libre, avec un style absolument génial. Malheureusement, rares sont ceux qui se souviennent d'elle aujourd'hui.


Comment avez-vous pris la décision un jour de 1982 de tout quitter pour écrire ? 


Steinunn Sigurdardottir

J'avais un travail de rêve : j'étais reporter dans une radio renommée. C'était un grand centre culturel en Islande. Mais J'ai déménagé. Je suis partie en Suède. Et à ce moment-là, j'ai décidé d'écrire à plein temps. Cela a été la décision la plus dure de ma vie. Mais si j'avais continué comme cela, partagée entre mon travail et ma passion, j'aurai été malheureuse. C'était la bonne décision, je le sais aujourd'hui. Je ne savais pas du tout si je pouvais vivre de mon écriture ou pas. Mais cela a marché. Et puis, j'avais une sécurité, un soutien familial. Je n'ai pas eu trop besoin de l'utiliser, mais il était important de savoir que je n'étais pas seule en cas de coup dur. Je voulais me débrouiller seule : un jour, pour finir un livre, j'ai dû faire un emprunt à la banque. C'était risqué, mais sage aussi. Car J'ai pu finir mon livre plus sereinement, prendre mon temps, améliorer mon livre.


Et aujourd'hui, quels sont vos projets ?


Je travaille sur un roman. Et cette fois, le personnage principal est un homme. Je me suis privée des hommes, alors qu'il est plus facile d'écrire sur un homme que sur une femme. Je suis trop proche des femmes, je manque de recul. Mais j'utilise l'homme pour mieux voir les femmes. J'aime m'imaginer des choses que je ne connais pas. Je ne sais pas comment je crée mes personnages. J'ai juste plaisir à m'imaginer quelqu'un qui n'est pas du tout moi.


On vous sait très proche de la France, vous avez vécu à Paris plusieurs années et vous parlez français. Quel est votre auteur français préféré ?


Céline. Il a une clairvoyance et une écriture sublime. Ses livres peuvent être longs, ils se lisent facilement car ils sont magnifiquement écrits. Une scène notamment du "Voyage au bout de la nuit" m'a marqué. Vers la fin du livre, lorsque le héros meurt. Cette scène m'a beaucoup touchée. C'est incroyable de voir le paradoxe entre l'homme avec des idées si laides et la beauté de ses écrits. Chez les auteurs contemporains, j'aime beaucoup Michel Houellebecq. J'étais membre d'un jury littéraire en Irlande, qui lui a décerné un prix. Et J'ai découvert un homme agréable, loin de l'image qu'il renvoie dans les médias français. Ce qu'il écrit est très intéressant. Dans "Plateforme", il réussit à mettre en place une histoire d'amour très particulière, même si je ne suis pas d'accord avec tout le livre. 


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