La sorcellerie en Islande : les maléfices décryptés


L'Islande est auréolée de magie. Omniprésente, cette magie se manifeste dans la beauté ou les ténèbres d'un paysage, par les croyances ancrées de ces habitants depuis la colonisation de l'île (que ce soit dans le mythe des elfes peuplant leur contrée ou dans leur mythologie dont les dieux, déesses et autres créatures merveilleuses sont dotés de pouvoirs surnaturels), ou par leur littérature empruntant aux mystères engendrés par l'île.


De la magie à la sorcellerie, bien que très différents, il n'y a qu'un pas. Des inscriptions runiques, la récitation d'un sort ou pire d'un maléfice, l'interprétation des rêves et prophéties, et les pratiques rituelles sont autant d'éléments qui mènent à la pratique de la sorcellerie. Pratique de l'occulte qui sera, avec l'influence de l'Inquisition catholique, sévèrement réprimandée en Islande au XVIIe siècle.


Devenir invisible, provoquer des tempêtes, des maladies ou la mort, trouver la fortune, démasquer les voleurs. Il existe une magie pour presque tout. Et si quelque chose ne va pas dans votre vie, c'est forcément que vous avez été envouté. 

Chasse aux sorciers en Islande


Au début du XVIIe siècle, l'Islande a terminé sa conversion au christianisme. Sous l'impulsion danoise, l'île est désormais luthérienne. Une religion aux dogmes sévères : l'Homme est par nature mauvais, il doit passer sa vie à expier ses pêchés. Mais les temps sont durs pour le peuple : extrême pauvreté, famine, catastrophes naturelles. Les Islandais sont au cœur de la longue nuit.

Pratique de la sorcellerie en Islande

Malleus Maleficarum sorcellerie

Confrontés à la réalité de leur difficile vie, certains islandais sont prêts à tout pour améliorer leur ordinaire. La sorcellerie entre alors en jeu : à coup de sortilèges, de runes et, pour la magie la plus noire, d'appel au Diable, aux démons et à la nécromancie


La plupart du temps, les Islandais cherchent juste à se protéger. Du feu, de la maladie ou des voleurs. Parfois, ils cherchent à gagner plus d'argent. Mais certains furent condamnés pour des faits plus graves : ils auraient provoqué des tempêtes, des maladies graves ou pire, la mort.


Un temps tolérées, ces pratiques pourtant traditionnelles vont être interdites en Islande par l'Église luthérienne. Dès le milieu du XVIe siècle, les pasteurs vont organiser les premiers procès pour faits de sorcellerie

Procès pour sorcellerie

Fjord de l'ouest Islande

Le plus ancien procès pour pratique de la sorcellerie remonte à 1554 : un prêtre de Eyjafjörður est accusé d'avoir violé sa belle-sœur avec l'aide de la magie. Il est condamné pour ce viol à une forte amende. La possession de grimoires lui aurait valu d'avoir la main droite tranchée, si le roi Danois Christian III ne l'avait pas gracié. 


Il faut cependant attendre le XVIIe siècle pour voir se multiplier les procès aux issues parfois tragiques. Il n'est pas possible de parler de chasse aux sorcières à proprement parler, car le nombre de cas reste réduit. Toutefois, en tout, 170 personnes furent jugées pour sorcellerie. Parmi elles, 21 y perdirent la vie. Le premier buché est dressé en 1652, pour Jón Rögnvaldsson, déclaré coupable d'avoir réveillé un mort pour porter malheur à son ennemi. Le dernier, 21 ans plus tard : Svein Árnason est accusé d'avoir provoqué la maladie de deux femmes. 


Parfois, les procès sont vite expédiés et les buchers rapidement enflammés. Certains sont toutefois jugés à Þingvellir. Mais devant la recrudescence des condamnations à mort dans l'île, le Roi du Danemark, Christian V, décide en 1690 que tous les crimes capitaux doivent désormais être jugés au Danemark. Cela sonne la fin de la "chasse aux sorcières" en Islande. Plus aucun Islandais ne sera dès lors condamné au bûcher.


Une sorcellerie géolocalisée

Les fjords de l'ouest, en particulier la région du Strandir, rassemblent la majorité des faits de sorcellerie. Un simple coup d'œil à une carte les recensant suffit pour s'en assurer. Il est difficile de trouver une explication à cette singularité, même si quelques indices le permettent. Le Strandir est une région isolée géographiquement parlant. Pour les historiens, cet isolement aurait permis aux pratiques païennes de subsister plus longtemps que dans les autres parties du pays. 


Fait notable : une seule et même famille, descendante du grand Egill Skallagrímsson, est sur-représentée dans les procès pour sorcellerie de la région, que ce soit en tant qu'accusateur, juré ou accusé. Cette famille importa notamment dans les fjords de l'ouest la traduction du Malleus Maleficarum. Beaucoup de membres partirent également étudier à l'étranger, notamment au Danemark et en Allemagne où ils étaient au contact des chasses aux sorcières. Leur influence a donc pu jouer un rôle majeur dans cette région. 


Malleus Maleficarum : la bible de la chasse aux sorcières

Le Malleus Maleficarum est un texte allemand écrit à la fin du XVe siècle. Il explique comment reconnaître les sorcières et comment les juger. Sa publication, cumulée à la promulgation deux ans plus tôt de la bulle papale "Summis Desiderantis" (Innocent VIII, 1484), marque le début de la chasse aux sorcières en Europe. La France, l'Allemagne et la Suisse sont les pays les plus touchés par cette vague anti sorcellerie. Cette chasse s'étend rapidement et finit par atteindre l'Islande, un siècle plus tard. Ici, point de sorcières, mais bien des sorciers. Les condamnés sont tous des hommes, à une exception près.


Le Malleus Maleficarum est publié pour la première fois vers 1486-1487 à Strasbourg. Rédigé par deux dominicains, inquisiteurs, l'ouvrage justifie d'abord l'existence de la sorcellerie. Les auteurs insistent sur la faiblesse des femmes qui, en se laissant soumettre au diable, sont à l'origine de tous les maux de la terre. La suite du texte explique de quelle manière ces femmes usent de charmes maléfiques pour nuire à la société. Heureusement, les deux inquisiteurs ont des solutions pour contrer les maléfices de ces sorcières et prémunir le peuple de leurs exactions. Ils poussent leurs réflexions jusqu'à détailler la manière de capturer ces créatures démoniaques et surtout comment les mener au procès dont l'issue reste l'éradication du fléau des sorcières.


L'Ægishjalmur, symbole magique islandais


Ægishjalmur sorcellerie Islande © spartacus-andywhitfield

L'Ægishjálmur est le symbole magique islandais le plus connu. Il signifie "heaume de crainte" ou "barre de terreur". Il est censé provoquer la peur et être invincible, notamment lors de combats. Il est un gage de protection. D'ailleurs, les Vikings et plus généralement les Germains le peignait sur leur front. De cette manière, ils espéraient hypnotiser l'ennemi


On le retrouve dans les Sagas islandaises où il confère pouvoir et domination en même temps qu'il inspire la crainte chez l'ennemi. L'Ægishjálmur passe pour être une marque de la psyché d'Óðin (Odin), d'où sa puissance magique. Afin de l'activer, il peut être porté en bijou, retranscrit sur un vélin que l'on porte sur soi ou tatoué à même la peau (de manière provisoire ou définitive).


Ce symbole contient deux modèles numériques considérés comme sacrés dans la mythologie scandinave : le 3 et le 8. Et surtout, l'Ægishjálmur comprend la rune "elhaz" dans son graphisme. Elhaz est la quinzième lettre de l'alphabet Futhark et symbolise la protection. Grâce à elle, tout mal est repoussé. Elle utilise le circuit de la spiritualité, voire du divin. D'où le lien du symbole avec le dieu nordique Óðin. Elhaz apparaît seize fois dans l'Ægishjálmur, au départ de chaque extrémité et au départ du centre. Ce qui donne toute sa puissance au symbole.


L'Ægishjálmur pouvait également servir au maléfice d'invisibilité. Pour cela, il fallait "prélever trois gouttes de sang de l'index gauche, trois de l'auriculaire droit, deux du téton droit et une du téton gauche. À cela, il fallait ajouter six gouttes de sang de corbeau vivant et incorporer le tout à la cervelle du corbeau et à des morceaux d'estomac humain. Pour finir, il fallait sculpter le signe sur la lignite avec de l'acier trempé trois fois dans du sang humain". 


Les maléfices de la sorcellerie en Islande


Des grimoires, ainsi que des témoignages consignés lors de procès, nous ont laissé des informations inestimables sur la pratique de la magie en Islande. Une magie utilisée soit pour nuire à ses ennemis, soit pour améliorer sa vie de tous les jours, établie sur la base des rites du nídh (pratiques diffamatoires), du sejdhr (rites de présages) et du blót (sacrifices). Voici un petit assortiment de quelques maléfices indispensables.


Provoquer une tempête

Tête de lingue sorcellerie Islande

Sur une île très pauvre et dépendante des produits de la mer, tenter de provoquer des tempêtes pour nuire à l'ennemi était un pouvoir attirant. De nombreuses personnes ont été accusées de sorcellerie après des tempêtes aussi soudaines que meurtrières.


La recette du maléfice : prenez la tête d'une lingue, autrement dit une Julienne, et inscrivez dessus, en runes, un signe magique : Vindgapi. Puis, à l'aide d'une plume de corbeau, déposez sur le signe un peu de sang prélevé sur votre pied droit. Enfoncez la tête sur un pieu, et plantez le pieu sur la berge. Plus le pieu est grand, plus la tempête sera forte. 


La résurrection des morts

Résurrection d'un mort sorcellerie Islande

Outre les fantômes, les Islandais ont dû apprendre à gérer les revenants. Des morts rappelés sur terre par un homme pétri de mauvaises intentions. La résurrection des morts était l'une des spécialités de la région du Strandir au XVIIe et XVIIIe siècle, pour laquelle de nombreux procédés existaient.


La recette du maléfice : gravez un signe magique sur du bois de chêne et peignez-le à l'aide du sang issu de votre pied droit et de votre main gauche. Posez ce signe sur la tombe et faites le tour de l'église. Au troisième tour, le mort sort. Le sorcier doit alors prendre le mort par le col pour en prendre le contrôle. Cette magie peut parfois être difficile à réaliser, la présence de plusieurs sorciers peut s'avérer nécessaire.


Les tilberis : donner la vie

Tilberi sorcellerie Islande

La magie noire à l'état pur. Le Tilberi n'est pas là pour tuer, il est là pour aider. Sous vos ordres, il se déplacera afin de voler du lait de vache ou de brebis et vous le rapporter. Mais posséder un Tilberi vous demandera des sacrifices.


La recette du maléfice : volez une côte humaine au cimetière, aux premières heures de la Pentecôte. Enveloppez-la de laine grise et gardez-la entre vos seins. À la messe, lors des trois communions suivantes, crachez du vin sacré sur le colis. La troisième lui insufflera la vie. Il deviendra alors un Tilberi.


Une fois trop grand pour être dissimulé contre votre sein, vous devrez l'accrocher contre votre cuisse : coupez un morceau de votre peau pour en faire un téton et accrochez y le Tilberi. Par cet appendice, il se nourrira de vos liquides corporels. Lorsque vous devenez trop faible pour nourrir votre Tilberi, ordonnez lui de s'en aller. Il ne pourra vous désobéir, mais sans nourriture, il mourra de faim rapidement.


Surprendre un voleur


Il ne faut pas perdre de vue que l'Islande du XVIIème siècle était excessivement pauvre. D'où la nécessité de se prémunir contre le vol ou de pouvoir découvrir qui vous a volé. Le moyen le plus efficace était celui du marteau de Þórr (Thor).


La recette du maléfice : un marteau doit être fabriqué à partir du cuivre d'une cloche d'église. Trempez le marteau dans du sang humain pendant la messe, puis fabriquez un manche de cuivre au marteau. Lorsque vous plantez le manche dans le marteau, récitez l'incantation "Perçons l'œil du puissant Þórr". Le voleur ressentira alors une violente douleur à l'œil. S'il ne rend pas les objets volés, il perdra son œil.


Séduire une jeune fille

Signe de séduction sorcellerie Islande

Certaines magies nécessitent de graver, ou dessiner, des signes magiques, parfois runiques. Souvent, la seule possession de ces signes sur ou chez les personnes, prouvait leur culpabilité. Si certains servaient à guérir des malades, d'autres suivaient des motifs plus futiles. Séduire une jeune fille par exemple.


La recette du maléfice : dessinez ce signe sur l'estomac d'un cochon à l'aide du sang tiré de votre téton gauche. Faites dormir la fille dessus toute une nuit. Elle vous tombera dans les bras.


Les livres de protection

Livre de protection sorcellerie Islande

Certains livres rassemblaient des formules pour se protéger d'à peu près tout. La possession de ces livres, si elle était découverte, entrainait bien sûr un procès, voire le bûcher. Certains bravaient l'interdit malgré tout. Jón l'érudit, par exemple, a écrit tout un livre compilant différents signes, formules, dessins, runes ou phrases blasphématoires. Ils protégeaient contre le feu, les armes, la folie, les elfes, les tentations du Diable, les hallucinations, les fantômes marins ou les tempêtes. 


Mais ces signes permettaient également de générer de la colère, d'effrayer les ennemis, de lutter contre le vol et les inondations, de remporter une bataille, d'éloigner les renards. Enfin, plusieurs signes servaient de remèdes divers et variés contre les blessures, les fièvres, la diarrhée, les rhumes, démangeaisons ou maux de tête.


Provoquer la maladie

Nombre de procès pour sorcellerie ont été lancés suite à une maladie inexpliquée. Il existait en effet plusieurs sorts pour rendre son ennemi malade. Les grimoires islandais n'ont pas laissé beaucoup d'instructions sur ce maléfice. Toutefois, un livre permet d‘affaiblir qui vous voulez.


La recette du maléfice : demandez de dessiner certains signes runiques sur un morceau de fromage ou de poisson. Donnez cette nourriture ensorcelée à la personne visée. Tout ce qu'il mangera ce jour là ne lui sera d'aucune utilité. 


Les nécropants, ultime magie noire

Pantalon nécrophage sorcellerie Islande

Les nécropants, ou pantalons nécrophages, sont considérés comme la plus noire des magies noires. Elle est excessivement difficile à réaliser. Faut-il aussi en avoir l'envie.


La recette du maléfice : de son vivant, vous devez passer un accord avec un homme, afin qu'il vous lègue le bas de son corps. Après sa mort, si sa peau n'a pas été trouée, allez récupérer le corps et écorchez-le.


 Enfilez la peau de ses jambes comme un pantalon. Volez une pièce à une église et glissez-la entre le pantalon nécrophage et votre scrotum. Cela vous permettra de gagner de l'argent tant que la pièce originale reste en place. 

Condamnés de sorcellerie en Islande


Pierre sacrificielle viking retrouvée à Hólmavík sorcellerie Islande

XVIIe siècle, la Réforme est terminée en Islande. Commence une période plus sombre. Procès pour sorcellerie, magie noire, se multiplient, parfois conclus par des condamnations à mort et le bûcher. 


Difficile de parler de véritable "Chasse aux Sorcières" comme en Europe, mais 21 personnes, dont une femme, périront par les flammes. Voici quelques histoires de magie. Ce par quoi, trop souvent, le bûcher arriva.


Jón l'érudit, une fuite désespérée

Jón était fermier dans le Strandir au début du XVIIe siècle. Fermier, poète et sculpteur également. Il devint célèbre après avoir réussi à se débarrasser d'un fantôme quelque peu envahissant, en lui écrivant de longs poèmes passés désormais à la postérité. La vie de Jón bascula lorsqu'il accusa l'homme fort du Strandir, Ari, d'avoir tué des pêcheurs de baleines dont le bateau avait fait naufrage.


De peur de représailles après cette accusation, Jón s'enfuit et emménagea sur la péninsule du Snæfellsnes. Après quelques années de calme retrouvé, Jón est à nouveau en danger : un prévôt l'accuse d'être en relation avec le diable, après avoir trouvé un livre de médecine lui appartenant. Jón s'enfuit à nouveau et est finalement jugé par contumace par les Danois. Condamné à l'exil, il part s'installer au Danemark.


Le premier bûcher pour sorcellerie

Signe de séduction sorcellerie Islande

Il aurait réveillé un mort pour porter malheur à son ennemi. Pour cela, il fut brûlé vif. Jón Rögnvaldsson entra, bien malgré lui, dans l'histoire de l'Islande en 1652. Son ennemi l'accuse publiquement : Jón est la cause de tous ses malheurs, Jón et sa sorcellerie. Jón nie, mais dans sa ferme sont retrouvés des papiers portant des runes et des signes magiques


La preuve, la seule, qui condamne le fermier. Un jeune administrateur vient alors d'arriver dans l'Eyjafjörd. Désireux de faire ses preuves, il condamne Jón au bûcher, sans même en référer à l'Alþing. Jón est le premier Islandais à périr ainsi. Une vingtaine suivra.


Les malades du Trékyllisvík

En 1652, le Trékyllisvík, (la partie la plus au sud du Strandir) est affecté par une étrange maladie. Pendant la messe, plusieurs femmes (jusqu'à seize) sont prises d'étranges malaises, allant parfois jusqu'aux convulsions. Après enquête, þorleifur Kortson, le bailli du Strandir, découvre un responsable : þórðdur Guðbrandsson.


Lors de son jugement, þórðdur reconnaît avoir vu le diable sous la forme d'un renard et l'avoir envoyé au Trékyllisvík. Il est condamné et brûlé. Deux autres hommes furent également exécutés dans cette affaire. Le premier a avoué pouvoir s'assurer les services du diable, le deuxième a admis s'être servi de caractères runiques. Trois morts, mais point de répit. Les malaises se poursuivirent tout le XVIIe siècle, sans explications.


Jón Jónsson, sénior et junior 

Jón Magnússon, Histoire de mes souffrances,  sorcellerie Islande

1656, le prête Jón Magnússon tombe malade. Il accuse alors deux hommes, Jón Jónsson père et fils, d'être à l'origine de sa maladie. Arrêtés, les deux hommes avouent pratiquer la sorcellerie. Ils sont exécutés. Mais Jón Magnusson est rongé par l'avidité. 


Après avoir confisqué tous les biens des deux hommes, il accuse la fille de la famille. Son accusation ne trouve toutefois pas d'écho. Les autorités innocentent la jeune femme. Par la suite, Jón Magnússon écrivit un livre, "Histoire de mes souffrances", contant ses mésaventures. Son histoire est ainsi passée à la postérité.


Le périple de Sigurður Jónsson

Tout commença par une dispute. Des mots lâchés un peu trop imprudemment par Sigurður Jónsson de Skötufjörður. Ces mots, nous ne les connaissons pas, mais ils devaient être graves. Suffisamment en tout cas pour pousser un Sigurður terrorisé à quitter l'Islande. Le jeune homme tente d'embarquer à bord d'un bateau, direction l'Angleterre. Le lendemain de son départ, une jeune femme de Skötufjörður, tombe malade. Sigurður lui, arrive en Angleterre, mais n'a pas l'autorisation de débarquer. Retour à l'envoyeur.


En Islande, l'attend le mari de la malade. Ce dernier l'intercepte et le livre. Et là, Sigurður avoue. Il se serait battu contre un démon. Pour le vaincre, il aurait tenté d'utiliser une plante, la terreur du diable, sans succès. Puis une autre. Il aurait également déclamé des incantations magiques. Sans preuves, uniquement sur la base de ces aveux, l'assemblée de þingvellir condamne Sigurður au bûcher en 1671. Il est le dixième islandais à mourir brulé.


Les bûchers d'Helga

Páll Björnsson sorcellerie Islande

Helga est la femme de Páll Björnsson, révérend respecté de l'Arnarfjörður au XVIIème. Il est alors considéré comme l'un des plus grands savants d'Islande, parlant grec et latin, écrivain à ses heures, traducteur du Malleus Maleficorum. En 1669, Helga tombe malade. Six mois durant, elle ne peut quitter son lit, et est, de plus, maltraitée par un fantôme. 


Elle finit par se souvenir d'un jeune homme, à qui elle a refusé la main de l'une de ses servantes quelques temps plus tôt. Il est forcément responsable de ses malheurs. Jón Leifsson, c'est son nom, est arrêté. Il passe aux aveux. Oui, il a bien usé de sorcellerie, guidé par les enseignements de Erlendur de Strandir. Jón est brûlé. Tout comme Erlendur. Mais cela ne guérit pas pour autant Helga. Cinq ans plus tard, la maladie revient. Cette fois, deux de ses fils sont touchés également. Deux hommes sont à nouveau accusés et brulés : Magnús Bjarnasson et Lassi Diðriksson.


1678, Helga est à nouveau alitée, et envoie deux nouvelles personnes au bûcher : Jón Helgason, et surtout sa mère, Þuríður Ólafsdóttir, seule femme à périr brûlée en Islande. Puis vint le tour des filles d'Helga, elles aussi victimes de maladies chroniques. D'aucuns les accusent plutôt d'alcoolisme. Sveinn Árnason est brûlé à son tour. Il sera le 21ème et dernier Islandais à être condamné au bûcher.


Le miraculé de la chasse aux sorciers

En 1690, Klemus Bjarnasson est accusé de vol de bois flotté. Imprudent, il lança des menaces contre ses deux accusatrices. Juste après sa condamnation, les deux femmes tombèrent malades et Klemus fut accusé de magie. Alors qu'il était conduit à þingvellir pour son procès, Klemus prononça, en présence de témoins, une formule magique pour protéger le bétail. Cette phrase signa sa condamnation à mort. Mais la chance tourna. Le Roi décida juste avant son exécution que tous les crimes capitaux devaient être jugés à Copenhague. Sa peine est commuée en prison à vie. Il mourut derrière les barreaux au Danemark un an plus tard.


Une tempête bien peu naturelle 

Dessin de Marc Védrines - Islandia -  sorcellerie Islande

Vers 1800, dans la région du Strandir, un ouragan s'abat sur les frêles embarcations des pêcheurs. Comme souvent en ce temps là, les vétustes esquifs de bois ne résistent pas à la force des flots. Ce jour là, deux bateaux coulent, emportant avec eux tout leur équipage. 


Lorsque les débris viennent s'échouer sur la plage voisine, les habitants remarquent d'étranges gravures dans le bois : des runes, accompagnées de la tête d'un lingue. Le signe d'une malédiction magique, permettant d'invoquer des tempêtes aussi soudaines que violentes. Un homme appelé Hermann est accusé, jugé, puis banni. Il échappe au bûcher. 

Le surnaturel dans la littérature islandaise


Quasiment toutes les sagas islandaises, et les sagas miniatures, mettent en scène un revenant. S'il revient dans le monde des vivants, c'est parce qu'il n'a pas achevé sa vie sur terre. Soit c'est un mal-mort, soit il est mort de manière illégale, soit il n'a pas eu le temps de régler des contentieux avec un rival, soit il n'est tout simplement pas content d'être mort. Toujours est-il qu'il revient. Le meilleur exemple en est la Saga de Grettir le Fort. Ces revenants sont présents dans un conte populaire sur deux. Les histoires de revenants sont également très proches des histoires de sorciers. La mythologie nordique est emplie de magie, cela déteint sur les contes


Le plus connu de ces revenants est le draugr. Le draugr est un fantôme de la mythologie nordique, au sens premier de la traduction norroise. Pourtant, contrairement aux fantômes de notre patrimoine culturel, les draugar possèdent un corps physique et peuvent accomplir des tâches qu'un être vivant peut réaliser. Le plus souvent, ils vivent dans leur tombe, protégeant un trésor, que les vivants leur envient.


Dans les Eddas, le poème Völuspá est conté par une voyante, certains diront une sorcière. Völuspá signifie la prédiction de la voyante. Les prophéties font partie intégrante de la culture islandaise et s'intègrent dans les récits, quels qu'ils soient. Cette voyante se nomme la völva. Ce nom a servi de base aux islandais pour créer le mot "ordinateur". Ils l'ont mêlé au mot "tal" qui signifie "compter. Autrement, pour un Islandais, un ordinateur, tölva, est une sorcière qui compte...


Aujourd'hui encore, que nous lisions un polar islandais ou de la littérature, la magie, le surnaturel et la sorcellerie sont omniprésents. Ils surgissent quand on s'y entend le moins ou passent sans qu'on ne s'en rende compte tant l'écriture des auteurs islandais est empreinte de cette pratique ancestrale.

Sorcellerie islandaise en BD : interview de Marc Védrines


Propos recueillis à Versailles en octobre 2009


L'Islande. Le XVIIe siècle. Le froid. La faim. La magie. "Islandia" bande dessinée éditée par Glénat. Pour son auteur, une aventure de "sorcellerie historico-fantastique". Marc Védrines, révélé au grand public par la série "Phenomenum", nous plonge dans une Islande méconnue. Presque taboue. Cette Islande de la période noire, entre extrême pauvreté, dictat danois et catastrophes naturelles. Une Islande naturellement teintée de rites païens, pourtant interdits après la Réforme. Une Islande qui prend vie, sous la plume et le pinceau de Marc Védrines.


Comment êtes-vous venus à la BD ?


C'est quelque chose qui me reste de l'enfance. Tous les enfants dessinent, et un jour, sans savoir pourquoi, la plupart s'arrête. Les dessinateurs de BD, eux, ne s'arrêtent pas. Et puis, j'ai cette volonté, outre le dessin, de raconter des histoires. À vrai dire, je suis plus un conteur qu'autre chose. Le dessin, c'est le medium, mais mon métier, c'est avant tout d'être conteur d'histoire.


Marc Védrines - Islandia -  sorcellerie Islande

Comment passe-t-on de la passion à la publication ?


J'ai eu la chance de ne pas trop galérer au départ. Je crois que je n'ai eu qu'un seul projet refusé avant d'être publié. Et j'ai démarré avec quelque chose qui s'est tout de suite fait remarquer, la série "Phenomenum". Puis j'ai proposé à Dargaud mon projet pour "Islandia". Je pense qu'ils l'ont aimé. C'est un sujet qui n'avait jamais été traité avant.


Justement, le thème de cette série est bien particulier. Comment en avez-vous eu l'idée ?


J'ai voyagé dans les fjords de l'ouest et me suis arrêté au musée de Hólmavík, un musée sur la magie en Islande. Et là, l'idée a germé. J'y suis retourné un an plus tard, pour parler au fondateur du musée, Sigurður Átlason, dit Siggi. Puis J'ai commencé l'écriture.


Comment avez vous trouvé les informations dont vous aviez besoin ?


Ma belle mère, une islandaise, avait accès aux bibliothèques. Elle m'apportait des photocopies de textes et de gravures anciennes. J'ai essayé d'être aussi proche que possible de la réalité par rapport à ces informations. Au total, le travail s'est étalé sur deux ans.


Aviez-vous le scénario en tête avant de commencer le dessin ?


Oui. Et je pense que cela se sent quand on lit la BD : il y a beaucoup de questions qui s'ouvrent et au fur et à mesure des albums. Mais je donne toujours les réponses plus tard dans le récit. Il y a quelques micro improvisations, mais la structure de A à Z est faite. À moins d'avoir un talent extraordinaire et savoir retomber sur ses pattes, le métier de scénariste est de savoir balader son lecteur, lui donner de fausses pistes et on ne peut le faire qu'à condition de savoir où on va. En fait, j'ai commencé par la fin. Je savais déjà comment cela allait se finir. La structure précise des trois tomes était là.


Les trois tomes sont donc tous liés ? 

Marc Védrines - Islandia - Sorcellerie Islande

J'ai pensé cette série comme une pièce en trois actes : une introduction, un récit qui se développe et une conclusion. Chaque tome se termine par ce que l'on appelle un cliffhanger, un suspense qui donne envie de lire la suite. Mais le travail de l'auteur de BD, c'est aussi de faire une mini structure à la page. Il faut que le lecteur soit immergé et qu'il ait envie de tourner la page. Si je réussis à faire ça, c'est gagné. Si je l'amène dans mon univers et qu'il n'a pas envie de lâcher l'album, j'ai fait ce qu'il fallait.


Justement, l'univers de cette BD, ce sont ces personnages très marqués physiquement.


C'est important dans un récit d'avoir des personnages suffisamment particuliers pour qu'on puisse les reconnaître immédiatement : par l'allure, leur costume, leur physionomie. Par leur visage. C'est donc, avant tout, pour servir le récit. Mais je voulais aussi montrer à travers les corps, le côté dur de la vie : ils sont assez burinés, les gens ne sont pas bonhommes. Ils n'avaient pas grand chose à manger. Je devais retranscrire tout cela dans le dessin, avec des visages marqués par le froid, par la faim, par la dureté. Je ne sais pas comment ils pouvaient vivre en Islande à cette époque-là. C'est là que la magie prend de l'importance, car c'était l'une des rares possibilités pour eux d'améliorer leur ordinaire.


Comment avez-vous reflété cet univers très magique au fil des tomes ?


J'ai fait beaucoup de recherches, mais beaucoup de choses se sont perdues. J'ai donc essayé de coller au plus près, avec le tilberi, le nábrók, des choses connues. La moitié, voire le tiers, de ce dont je parle sont des choses existantes. Mais en fait, de nombreux signes magiques ont disparu. C'est ma plage de liberté. J'invente ce qui est perdu.


Vous-même aujourd'hui, croyez-vous en cette forme de magie ?


La magie, j'aime la raconter. Mais de là à y croire... Disons que je ne l'ai pas expérimentée. 


Le conseil lecture de Toute l'Islande


Bibliographie sorcellerie en Islande


Sorcellerie en Islande

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